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Jacques Vauthier

Jacques vauthier madrid 2011

L’univers

 

« L’univers : il faut s’en débarrasser ! »  (J-P. Sartre)

 

« Il est manifeste que le ciel étoilé a une grande similitude avec la métaphysique » (Dante Banquet livre II, XIV).

 

     L’état de la métaphysique contemporaine se révèle au travers de réponses à des questions simples. L’une d’entre elle est celle que Leibniz posait « pourquoi y-a-t-il quelque chose plutôt que rien ? ». On connaît les réponses données lors du séminaire de l’Ecole Normale Supérieure1 qui se résument à « cette question n’a pas à être posée », moyen de dire de façon alambiquée ce que l’on pourrait dire de façon familière « circulez il n’y a rien à voir »…Une autre question qui nous intéresse aujourd’hui compte tenu de l’explosion des données astrophysiques dont le « Big Bang » n’est qu’un des avatars, est celle de l’univers. IL est frappant de voir comment certains philosophes et non des moindres se sont ingéniés à faire disparaître cette interrogation légitime car, de fait, on ne peut considérer cette entité de l’extérieur et pourtant on en parle à longueur de textes scientifiques ou d’articles de vulgarisation sur l’état des connaissances en astrophysique. Il n’est donc pas sans intérêt de faire le point sur les prises de position des uns et des autres avant de montrer que la question est de nature métaphysique et révélatrice de la philosophie contemporaine comme le fut la question de Leibniz rappelée ci-dessus.

 

     Si pour les médiévaux, la question de l’univers ou du monde ne se posait pas au contraire de la Création, la première cassure remonte à Ockham pour qui l’unité de l’univers n’était que le fait que « certaines choses se tiennent plus loin que d’autres les unes des autres ». On se souvient que Luther, dont le sous-bassement nominaliste est celle d’un bon ockhamien, s’est opposé à Copernic concernant le système du Monde. A la suite, Hobbes dira que l’on ne peut rien dire de l’univers2, Locke que rien ne peut être dit de ce qui est au-delà du système solaire3 tandis que Hume viendra prétendre que l’univers n’est rien d’autre qu’une construction élaborée dans les entrailles d’une araignée4. Plus proche de nous, Auguste Comte avancera que la cosmologie n’est qu’une insanité5. Quant à E.Mach, spécialiste de la mécanique à la fin du 19ième siècle et inspirateur du groupe de Vienne où se retrouveront Carnap et quelques autres dont Popper, il avançait que « l’univers est semblable à une machine dont certains éléments ont leur mouvement déterminé par celui de la machine dans son intégralité, mais rien n’est déterminé concernant le mouvement de la machine dans son intégralité »6. Evidemment tout ceci est devenu vain avec la théorie de l’expansion de l’univers…

     P.Brigman s’appuyant sur l’interprétation de Copenhague de la mécanique quantique qui stipule que l’observateur détermine la réalité avançait que « le Monde n’est pas un monde de raison connaissable par la raison humaine…le monde n’est pas intrinsèquement raisonnable ou connaissable » et il ajoutait « le monde peut devenir sans sens à cause de la nature du savoir lui-même » ! Quant à B.Russell, il disait que le concept d’univers n’était qu’ « une simple relique de l’astronomie pré-copernicienne »7. Pour Paul Valéry, « l’univers n’est qu’un défaut dans la pureté du non-être »8

     William James était partisan d’une pluralité d’univers, qui, tout en étant « tellement différents et incommensurables », il était toutefois possible « de concevoir leur diversité et par là même, l’ensemble de tous ces mondes constitue ce qui est connu en logique comme un univers de discours ». Si la théorie des multivers a fait florès ces dernières années, on ne peut que faire remarquer que si deux univers ont un élément en commun, ils ne font en fait qu’un seul univers puisque par définition l’univers est la totalité des objets connaissables…

     L’antidote se trouve comme souvent dans les textes de G.Chesterton. Il écrit dans son livre Heretics « Il existe des gens – et j’en fais partie – qui pensent que la chose la plus importante et la plus réaliste liée à l’homme est, de fait, sa conception de l’univers. Nous pensons qu’il est important pour une logeuse de connaître les revenus d’une personne qui recherche une chambre mais combien plus de connaître sa philosophie. Nous pensons qu’il est important de connaître les effectifs de l’ennemi mais combien plus de connaître sa philosophie. Nous pensons que la question n’est pas si la théorie du cosmos affecte les données mais si dans la durée, quelque chose d’autre les affecte ».  

 

     L’univers est par définition la totalité des choses. Cette position de « l’intérieur » montre que seule une approche métaphysique permet de saisir ce qu’est cet univers que l’on ne peut évidemment pas contempler de « l’extérieur ». Kant balayait ce point de vue d’un revers de main en disant que l’univers et la métaphysique ne sont que des produits bâtards de l’intellect. Or c’est le « joyau des joyaux » disait Chesterton, que les matérialistes, tel Reichenbach, vont bafouer en affirmant « nous n’avons absolument aucune preuve qu’il existe un monde physique » et d’ajouter sans rire « nous n’avons aucune preuve que nous existons » !9 Pour Bergson « notre univers est par partie causal, par partie probabiliste et par partie ouvert : il est émergent », où l’on retrouve son point de vue développé dans l’ « Elan vital », tandis qu’il conclut de façon péremptoire en disant que l’univers est « une machine à faire des dieux »10.

     Et c’est là où nous retrouvons l’autre nœud de la question : l’univers est-il infini et donc possèderait-il un des attributs divins ? Dans la dialectique kantienne, on trouve que l’impossibilité de savoir si l’univers est fini ou infini « prouve » que le concept est irréaliste et doit être rejeté. Evidemment, c’est le concept d’infini qui est mis en cause ici avec la confusion sous-jacente entre infini en acte et infini en puissance. La suite infinie des entiers 1, 2, 3, …est en puissance et non pas en acte. On ne saisit pas la totalité des nombres on ne fait que les appréhender pas à pas. Les mathématiques, la science de l’infini, ont évacué le paradoxe de la flèche d’Achille de Zénon en éliminant le temps dans ce que l’on appelle « le passage à la limite » qui fleurit en particulier dans le calcul infinitésimal de Newton et Leibniz. Le temps est remplacé, grâce au génie de A. Cauchy au 19ième siècle, par le concept d’élément générique subtile approche qui consiste à se projeter à l’infini même pour revenir ensuite vers le fini. Mais on pourrait objecter que tout ceci n’est qu’argutie de mathématiciens. Or, Einstein, dans ses recherches sur la gravitation, montrait, grâce au calcul tensoriel tout nouvellement disponible, que la courbure totale de l’univers est finie imposant par là une finitude de la masse totale de l’univers, et éliminant par là toute velléité d’introduire l’infini dans le regard que l’on peut poser sur l’univers. Einstein faisait aussi remarquer que l’univers newtonien infini mettait à mal la fameuse loi de l’attraction des masses en raison de l’inverse du carré de leurs distances car la densité de la masse devait sous l’hypothèse d’un univers infini, tendre vers 0 à l’infini…Or cela n’était pas observé par les astrophysiciens. D’ailleurs Newton lui-même était convaincu de la finitude de l’univers à tel point que Voltaire – dont la connaissance de l’opus magnum du grand homme était due au travail de traduction du latin au français par Madame du Châtelet lors de son séjour à Ferney – pouvait dire « selon Newton et la raison, l’univers est fini »11.

     Il est maintenant utile de donner une réponse au problème soulevé : « y-a-t-il un univers ». La question de l’univers révèle en particulier la confusion entre l’être et l’un. La question 11 « De unitate Dei » de la Prima Pars de la Summa Theologica de Saint Thomas interroge dans l’article 1 « si l’un ajoute quoique soit à l’être »12. Il s’appuie sur Denys l’Aréopagite pour affirmer « rien n’existe sans une participation de l’un parce que cela ne serait si l’un s’ajoutait à l’être parce qu’il le limiterait (contraheret). Donc l’un n’a pas à ajouter à l’être ». Pour lui « ce qui vient en premier dans l’intelligence, c’est l’être. Puis, en second, que cet être n’est pas celui-là et donc nous saisissons la division comme conséquence, en troisième étape vient la notion d’unité puis en quatrième la notion de multitude » dans la conclusion de l’article 2. On voit donc que l’existence de l’univers est au-delà de la détection d’une multitude d’objets célestes.

     Pour Saint Thomas, l’unité dans la multitude repose sur un argument scientifique de telle sorte qu’il permet un recentrage purement philosophique. Ce chemin emprunte la relativité des lois scientifiques vis-à-vis de l’ordre au niveau ontologique sinon les lois scientifiques ne sauraient décrire la réalité. Pour l’Aquinate, l’univers est une multitude d’individualités mais ordonnées et qui interagissent entre elles. Les objets sont dans un ordre les uns vis-à-vis des autres et donc « il est nécessaire que toutes les choses appartiennent à un même univers »13.

 

     De même que la question de Leibniz pointe vers un Créateur, de même l’univers dans son concept même dans la perspective de la théorie du Big Bang ne laisse pas d’interroger sur une Création. La preuve en est de l’énergie utilisée par certains scientifiques pour s’en débarrasser grâce à des arguties tout simplement stupéfiantes. Que se soit le très médiatique professeur de Cambridge, S.Hawkings dans son premier livre « Une brève histoire du temps » qui prétendait éliminer le temps t=0 grâce à un tour de passe-passe, ne voyant même pas que ce temps initial est inaccessible à la science puisqu’à ce « moment » là il n’y a rien donc pas de science possible…ou Gold et Bondi avec leur théorie du « steady state » où des particules surgissaient ex nihilo – sans se rendre compte que le « ex nihilo » est lui aussi inaccessible à la science par définition même – pour combler le vide laisser par l’expansion de l’univers !14

     Evidemment la Création est un mystère comme nous le rappelle Saint Thomas dans une de ses formule lapidaires « Quod mundum non semper fuisse, sola fide tenetur et demonstrative non potest sicut et supra de mysterium Trinitatis dictum est ».

La contemplation qui en résulte ne peut que rejoindre celle du Bienheureux Henry Newman « tout ce que l’univers contient est fini. S’il est fini, il n’en reste pas moins sans limite ! Il est fini même s’il est multiforme, il est fini même s’il est si merveilleusement ruisselant d’intelligence, de beauté et de magnificence »15 et de nous montrer une fois de plus que l’intelligence humaine peut aller jusqu’à Dieu.

 

Jacques Vauthier

 

1 Voir le site www.diffusion.ens.fr du 10 juin 2005.

2 On the body , chapitre « Of the world and stars ». Pour cette citation et les suivantes, les références précises sont données par S.Jaki dans son cours « Is there a Universe » publié par Liverpool University Press 1993.

3 Essay on human understanding.

4 Dialogues concerning Natural Religion

5 Cours de philosophie positive

6 History and root of the Principle of conservation of Energy.

7 On scientific method in Philosophy.

8 Ébauche d’un serpent dans Charmes.

9 Atom und Kosmos.

10 Les deux sources de la morale et de la religion.

11 Elemens de la philosophie neutonienne.

12 Utrum unum addat aliquid supra ens.

13 Quaestio XLVII, a.3.

14 Voir mon livre « Lettre aux savant qui se prennent pour Dieu » Xavier de Guibert éd.  Et « Dieu et les cosmologistes » de S.JAKI traduction de J.Vauthier (ESKA éd.).

15 Meditations and Devotions par J.H.Newman (Darton, Longman and Todd 1998).

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