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Humanisme intégral ou la philosophie pratique jusqu’en ses confins (implications et extension) : une science de la liberté

[conférence donnée le 8/12/2016 à l'Institut Catholique de Toulouse, lors d'une journée organisée par l'auteur pour le 80e anniversaire de la publication d'Humanisme intégral]

 

     Dans l’Avant-propos d’Humanisme intégral, J. Maritain donne une définition de la philosophie pratique :

     « La philosophie pratique reste philosophie, elle reste une connaissance de mode spéculatif ; mais, à la différence de la métaphysique et de la philosophie de la nature, elle est ordonnée dès le principe à un objet qui est l’action, et si grande que soit en elle la part de la constatation, quelque compte qu’elle doive tenir des conditionnements et des fatalités historiques, elle est avant tout une science de la liberté. »1

     En définissant la philosophie pratique comme science de la liberté, c’est toute la réflexion ultérieure à propos des deux plans pratiques que J. Maritain engage ici. Au plan de l’art, la liberté sera celle de l’intuition créatrice, développée dans l’ouvrage majeur qu’est L’intuition créatrice dans l’art et la poésie (1953) ; au plan de la morale, la liberté affirme le primat de la personne humaine et de l’existence, composantes qui font le substrat d’Humanisme intégral. Qualifier la philosophie pratique de science de la liberté, est un écho aux Degrés du savoir : il s’agit bien d’affirmer l’autonomie de la philosophie chrétienne par rapport à la théologie, tout en maintenant la subalternation des sciences, dans une organicité qui les rende vitalement conjointes. Si les conférences d’août 1934 données à Santander donnent la substance de cette science de la liberté, la leçon inaugurale2 des cours de Buenos Aires en août-septembre 1936, en délimite le cadre en distinguant la science morale spéculativement pratique de celle pratiquement pratique. Le premier moment de la connaissance pratique étant celui d’une science morale, qui est science de la liberté ou « au sens pur et simple du terme une science de la conduite humaine », si elle est « adéquatement prise », c’est-à-dire dans sa « subalternation à la théologie »3.

     Humanisme intégral n’est donc pas une œuvre de circonstance issue des événements de février 1934 et du contexte historique international, ainsi que des deux écrits de mars et avril qui constituent son nucleus, à savoir le manifeste « Pour le bien commun » de mars 1934, signé par 52 intellectuels et l’entretien du 21 avril, tenu au siège de l’« Union pour la vérité », intitulé «  De la liberté dans une chrétienté moderne ». C’est cependant une œuvre de « philosophie vivante », selon l’expression de B. Fondane, pour qui « L’ici et l’aujourd’hui n’ont pas pris au dépourvu M. Maritain, ne l’ont pas projeté violemment dans une position forcée et fausse. »4

     Le style clair, les grands découpages de l’histoire en ère sacrale, humanisme anthropocentrique et humanisme théocentrique proposé comme idéal historique à partir d’une analyse du rapport entre grâce et liberté et de la réponse du matérialisme athée, en un mot l’aspect « accessible » de cette œuvre sont un piège : Humanisme intégral ne doit pas être lue comme l’œuvre d’un essayiste, mais d’un philosophe. Comment penser cette « science de la liberté » ? quelles sont les implications philosophiques de cette définition de la philosophie pratique ? En quoi la contemplation du mystère de l’Incarnation est-elle engagée dans la vision organique de la subalternation et de l’emploi étendu de l’analogie de proportionnalité ? Pour répondre à ces questions, serrer au plus près le sens de l’expression « humanisme intégral », permettra d’en saisir le projet. Pour ce faire, nous procèderons en trois temps :

1.L’Humanisme intégral comme réponse à l’avènement de la liberté

2 Les cinq notes de l’idéal historique de l’humanisme théocentrique comme jalons de la science de la liberté

3 La philosophie pratique jusqu’en ses confins : la portée de l’analogie, du primat de l’existence et de la subalternation.

     En guise de portail d’entrée, rappelons qu’entre le texte du 21 avril 1934 et Humanisme intégral, un changement radical de perspective est affirmé, pour constituer cette science de la liberté à partir de la sainteté de la liberté : le couple sacré/saint, est remplacé par celui de profane/science. Il s’agit en effet d’« imaginer un type de chrétienté spécifiquement distinct du type médiéval, et commandé, non pas par l’idéal du Saint-Empire (plus exactement de l’Empire sacré), mais plutôt, et toutes réserves faites sur l’abus qu’on pourrait faire de ce mot, par celui d’une sainte liberté. »5. La sainteté de la liberté peut fonder une science de la liberté si l’on tient compte de « la nécessité où la philosophie se trouve […] de tenir compte elle-même des lumières supérieures de la théologie.6 »

 

I L'humanisme intégral comme réponse à l’avènement de la liberté

 

I.1 L’éclipse de « intégral » dans les écrits des années quarante

     Humanisme intégral est annoncé dès 1921 dans Théonas7, avec la mention d’un humanisme chrétien, qui serait « réussite humaine en même temps que divine ». L’œuvre de 1936 est majeure dans la mesure où elle sert de socle aux écrits de philosophie morale de l’après-guerre, depuis Le Philosophe dans la cité qui s’y réfère explicitement jusqu’au troisième chapitre de Le Paysan de la Garonne (1966), qui en reprend les grandes intuitions et en cite des pages entières jusqu’à Approches sans entraves (1973) qui propose une réflexion complémentaire à propos de la condition de la femme.

     L’expression elle-même « d’humanisme intégral » est issue d’un chiasme mis par J. Maritain en en-tête à sa lettre du 8 juin 1932 adressée à la Feuille Centrale, Zofingue, n°98 : « Pour un réalisme intégral et un humanisme chrétien ». Même si « intégral » et « réalisme » seront majoritairement délaissés dans les écrits des années de guerre regroupés dans « Pour la justice » au profit de « nouvelle civilisation chrétienne »9, « amitié héroïque », ou développés par plusieurs termes, la référence réaliste, traduit par le primat de l’existence et de la personne, perdure :

     « […] tourné vers un idéal historique de fraternité humaine. […] un monde d’hommes libres pénétré dans sa substance profane par un christianisme réel et vivant, un monde où l’inspiration de l’Évangile orientera la vie commune vers un humanisme héroïque. »10

     Il semble que « intégral » se difracte en deux notions : la fraternité humaine avec l’amitié qui lui est inhérente comme fondement de la cité de demain d’une part, et la référence à une source hors du temporel, cause de l’amour d’amitié :

     « Sous l’inspiration évangélique en travail dans l’histoire la conscience profane a compris que dans les malheurs et les douleurs de notre existence […] un seul principe de libération […] peut soulever la masse de servitude et d’iniquité et triompher d’elle, parce que ce principe descend en nous de la source créatrice du monde, plus forte que le monde : l’amour fraternel. […] La race humaine a été exaltée par cette espérance, elle ne la perdra qu’en devenant plus sauvage qu’auparavant […] elle demande l’héroïsme, elle a une force divine pour transformer l’histoire humaine. Ce qui est acquis pour la conscience profane, si elle ne vire pas à la barbarie, c’est la foi en la fraternité humaine. »11

     Partant de cette éclipse de l’adjectif « intégral » dans les textes ultérieurs, nous nous sommes demandé si les deux termes concurrents de personnes et d’existence, centraux dans la pensée de J. Maritain, comme le rappellent certains titres de l’après-guerre, Court traité de l’existence et de l’existant, La Personne et le bien commun, n’inviteraient pas à lire Humanisme intégral non seulement comme une œuvre de philosophie pratique, mais aussi comme un approfondissement des notions de métaphysique qui engagent le plan spéculatif comme le rapport entre l’essence et l’existence, l’extension de l’analogie de proportionnalité – repérable ici à la mention de la « source créatrice du monde » – et l’importance de la non transitivité dans l’acte de connaître, ce qui va jusqu’à impliquer l’intuition de l’être . Humanisme intégral, serait donc une œuvre majeure dont il convient de saisir les lignes de forces à partir des sens du terme « intégral ».

     J. Maritain donne lui-même une liste de ces différentes acceptions, à Buenos Aires, en septembre 1936, deux ans après les conférences de Santander de l’été 1934, en parcourant un éventail qui unit les plans humains et divins invitant à faire une philosophie de l’histoire fondée sur le mystère de la réintégration d’Israël et du dessein divin ainsi que de sa miséricorde.

 

I. 2 Intégral, intégrer et intégration : pour « la réussite humaine en même temps que divine ».

     J. Maritain n’intitule pas les 400 pages de réflexion sur l’humanisme, « humanisme chrétien », mais « humanisme intégral ». Le choix de l’adjectif intégral se trouve expliqué à propos de la réflexion sur la liquidation de quatre siècle de culture occidentale à partir « de la conscience de la nécessité d’une autocritique de la raison » pour fonder « l’opposition à l’irrationalisme »12.

1- Intégration du monde irrationnel

     Le nouvel humanisme est en effet d’abord celui où la raison a pour tâche « l’intégration » du « monde irrationnel de l’affectivité, de l’instinctivité et de l’émotion, comme avec le monde de la volonté et les aspects non rationnels du fonctionnement même de l’intelligence »13.On ne soulignera, à cet égard, jamais assez la différence du statut de l’intuition entre H. Bergson et J. Maritain qui l’intègre complètement à l’intelligence, et la pense à l’intérieur et non contre l’intelligence, ce qui serait abaisser l’intelligence qui est la faculté la plus haute de l’homme. C’est à partir de cette juste saisie de l’intuition que se comprend la critique réitérée du bergsonisme de la part de J. Maritain qui n’a cependant jamais cessé d’exprimer son admiration pour la personne du philosophe de rare envergure que fut son maître H. Bergson.

2- Intégration d’un monde sur-humain

     En second lieu, cette obligation d’intégration est en rupture radicale avec l’héritage cartésien des idées claires et concerne également les « relations vitales entre la raison et un monde supra-rationnel ou surhumain », relations déjà affirmées par la sagesse païenne :

     « Ne proposer à l’homme que l’humain [remarquait Aristote], c’est trahir l’homme et vouloir son malheur, parce que par la principale partie de lui-même, qui est l’esprit, l’homme est appelé à mieux qu’une vie purement humaine. […] le mot humanisme est un vocable ambigu. Il est clair que celui qui le prononce engage du coup toute une métaphysique, et que, selon qu’il y a ou non dans l’homme quelque chose qui respire au-dessus du temps, et une personnalité dont les besoins les plus profonds dépassent tout l’ordre de l’univers, l’idée qu’on se fera de l’humanisme aura des résonances toutes différentes. »14 Cette idée sera reprise en 1951 dans Neuf leçons sur la philosophie morale15.

3- Intégration du mystère intégral de l’être humain

     Enfin, « intégral », s’entend comme la « refonte de nos conceptions sur la nature humaine intégrant à la vie propre de l’intelligence et de la raison le respect du mystère intégral de l’être humain, avec le respect simultané des choses de la conscience et de la foi ; avec, aussi, le respect de cette région de la vie de l’esprit qui concerne les recherches de la sagesse. » Non seulement J. Maritain rappelle que les deux plans de l’intellect, spéculatif et pratique, servent tous deux la connaissance même si « la philosophie pratique est ordonnée dès le principe à un objet qui est l’action »16, mais aussi que sagesse et raison ne peuvent être dissociées : « l’intégration des problèmes de la métaphysique et de la sagesse est tout à fait importante pour un nouvel humanisme, et [qu’] une conception de la vie purement morale et pragmatique, et répudiant toute valeur de contemplation, serait aussi dangereuse qu’une conception étroitement rationaliste (cartésienne). »17 S’il est question d’une science de la liberté, c’est philosophiquement parlant, en rappelant que la philosophie est aussi sagesse.

4- intégration du pluralisme : l’existence précède l’essence

     À ces trois dimensions de « intégral », J. Maritain rajoute une conviction, opposée à la conception des Lumières « de croire, que la proposition d’un système de certitudes rationnelles, pouvait, à défaut de la foi, créer l’unanimité entre les hommes. Au lieu de prétendre fonder le convivium civil sur un minimum philosophique commun, je crois qu’il faut admettre la diversité et lui donner droit de cité, grâce à cette conception d’une nature ouverte »18.

     Si le pluralisme est un état de fait « nécessaire au progrès de la conscience », le nouvel humanisme pose au plan philosophique la question de cette intégration du pluralisme par une unité intérieure à l’homme qui respecte la puissance de créativité et la liberté de la personne. En ce sens, personnalisme, existentialisme et humanisme sont des termes qui s’appellent les uns les autres comme le rappelle René Mougel : « L’affirmation, chez Maritain, de l’existentialisme (qui est également, et essentiellement, un humanisme) de saint Thomas se trouve dans une conférence donnée à Princeton en 1941 : ‘l’humanisme de saint Thomas d’Aquin’, qui contient en germe tout le développement du Court traité de 1947. »19

5- Réintégration dans « un mystère incomparablement plus vaste et élevé » du monde chrétien, en référence à la réintégration d’Israël : l’appel d’une nouvelle effusion de « miséricorde ».

     Le choix de « intégral », référé à la réintégration d’Israël dont parle saint Paul dans le plan du salut des temps derniers, est dirigé ici vers le monde chrétien appelé à un radical changement, afin de sortir de l’opposition entre le monde chrétien « de plus en plus séparé des sources de sa vie propre et un effort de transformation du régime temporel orienté vers la justice sociale et nourri des plus fausses métaphysiques »20  :

     « À propos du rejet provisoire et de la réintégration finale du peuple juif, saint Paul ne nous dit-il pas que Dieu a tout enfermé dans le péché pour faire miséricorde à tous ?21Si l’on pensait qu’un nouvel ordre temporel chrétien ne surgira d’une façon plénière et durable qu’après que la « désobéissance » et le « péché » dans lesquels s’est « enfermé » le monde chrétien des temps anthropocentriques auront appelé une nouvelle effusion de « miséricorde », on aurait peut-être une idée de l’ordre de grandeur de la péripétie historique à laquelle est liée l’instauration d’une nouvelle chrétienté. »

     Ce sont ces exigences contenues dans le sens de « intégral », qui permettent de saisir pourquoi J. Maritain dans le chapitre « La cité temporelle abstraitement considérée »22, rattache les trois notes qui la caractérisent, communautaire, personnaliste, pérégrinal à un statut spécial de la personne humaine :

     « La personne humaine membre de la société est partie de celle-ci comme d’un tout plus grand, – mais non pas selon tout elle-même et selon tout ce qui lui appartient ! le foyer de sa vie de personne l’attire au-dessus de la cité temporelle, dont cette vie a cependant besoin. Les personnes sont subordonnées à cette œuvre commune et cependant ce qu’il y a de plus profond dans la personne, sa vocation éternelle, est surordonné à cette œuvre commune et la finalise. »23

     La transcendance de la personne permet cette subordination et cette surordination, à savoir le lien entre le temporel et le spirituel, ou pour respecter l’ordre des choses, le lien entre le spirituel et le temporel, avec le plan intermédiaire du « spirituel joignant le temporel » :

     « Pour une civilisation chrétienne qui ne peut plus être naïve, et où l’homme doit regagner son unité perdue en se reprenant lui-même en main sous l’instinct de la grâce, progresser vers Dieu sera, semble-t-il, avant tout, préparer pour l’homme les conditions terrestres d’une vie où l’amour souverain puisse descendre et faire dans l’homme et avec lui une œuvre divinement humaine. »24

     Tels sont les rappels nécessaires à la possibilité d’une science de la liberté, qui plaçant la personne humaine au cœur de cette subordination et de cette surordination, permet d’envisager au plan pratique les cinq notes qui caractérisent l’idéal historique du nouvel humanisme.

 

II Les cinq notes de l’idéal historique, jalons de la science de la liberté

 

     Les chapitres IV et V d’Humanisme intégral sont construits de manière symétrique à partir des cinq notes caractéristiques de l’humanisme : le chapitre IV les présente dans le cadre de l’idéal sacral de la chrétienté, le chapitre V, dans le cadre du nouvel idéal historique d’humanisme théocentrique25. Fondé sur les mêmes principes que le christianisme de l’âge médiéval sacral, en vertu de l’application analogique où pour un même principe il existe diverses réalisations possibles, le nouvel humanisme chrétien serait profane chrétien. Ses notes caractéristiques sont à la fois opposées à celles du libéralisme et de l’humanisme inhumain de l’âge anthropocentrique qui est celui instauré par la Renaissance, et inverses de celles du Sacrum Imperium.

     Il s’appuierait sur la « sainte liberté de la créature et non sur l’idée de l’empire sacré que Dieu possède sur toutes choses »26 et serait marqué par un retour à une structure organique impliquant un certain pluralisme, beaucoup plus poussé que celui du moyen âge.

 

1 Unité temporelle

     À l’unité temporelle du moyen âge, visée dans sa forme maximale à travers l’instauration du Saint Empire qui en reste la meilleure illustration, la cité contemporaine oppose un pluralisme de fait, consécutif à l’inaliénable liberté de la personne humaine, pluralisme qu’il convient de penser et de maintenir au plan institutionnel. Dès lors il induit à penser l’unité non comme extérieure à la cité et quelque peu coercitive de la liberté de la personne, mais comme minimale, « son centre de formation et d’organisation étant situé dans la vie de la personne, non pas au niveau plus élevé des intérêts supra-temporels de celle-ci, mais au niveau du plan temporel lui-même. Et c’est à cause de cela que cette unité temporelle ou culturelle ne requiert pas de soi l’unité de foi et de religion, et qu’elle peut être chrétienne en groupant dans son sein des non-chrétiens. »27

     J. Maritain a pris soin de rappeler en portail introductif de ces cinq notes que

     « L’étoile qui guiderait et que réfracterait le milieu terrestre, serait non plus l’empire sacré que Dieu possède sur toutes choses, mais la sainte liberté de la créature que la grâce unit à Dieu. »28. Il s’agit, en effet, de trouver « non pas une unité mécanique, mais une unité organique ayant sa source dans les cœurs »29.

     La liberté placée au centre de la cité conditionne tous les plans. Si l’in a pu parler de valorisation du laïcat dans la pensée de J. Maritain, ce n’est jamais contre une autre modalité d’incarnation du christianisme, mais par voie de conséquence de ce primat de la sainteté de la liberté. Par exemple, l’animation politique ne doit pas rechercher une « unité d’essence et de constitution assurée d’en haut par la profession de la même foi et des mêmes dogmes, mais une unité d’orientation qui procède d’une commune aspiration à la forme de vie commune la mieux accordée aux intérêts supra-temporels de la personne ; et le rôle d’agent d’unité et de formation que le monarque chrétien jouait à l’égard de la cité d’autrefois, c’est la partie la plus évoluée politiquement et la plus dévouée du laïcat chrétien et des élites populaires qui jouerait ce même rôle à l’égard du nouvel ordre temporel en question. »

     Au plan philosophique, c’est affirmer le primat de l’existence sur l’essence et le principe de l’analogie de proportionnalité pour assurer l’unité de la cité qui, faisant droit aux diverses libertés, multiplie les différences. Sur quoi se fera l’unité puisque ce n’est pas sur un accord spéculatif, mais au plan pratique ? In fine, si « rien n’est plus vain que de chercher à unir les hommes sur un minimum philosophique. Et [que] cette recherche d’un commun dénominateur à des convictions contrastantes ne peut être qu’une course à la médiocrité et à la lâcheté intellectuelles, affaiblissant les esprits et trahissant les droits de la vérité. », alors c’est l’amitié qui constituera ce minimum d’unité au plan temporel, amitié qui n’est pas un sentiment éphémère, mais un reflet de l’amour de Dieu, nature déjà pressentie dans la philosophie païenne, chez Aristote, qui en fait un élément de la cité :

     ‘Pour exister comme unité d’amitié, elle-même présuppose une forme et une spécification.’ »

     Proposer l’amitié comme unité temporelle, c’est concevoir une cité fondée sur l’intériorité, et c’est ce primat de l’intériorité qui nous semble être une des conséquences de la contemplation du mystère de l’Incarnation chez J. Maritain. Citons pour l’heure comment il conçoit l’origine de l’action dans la cité pour saisir que l’amitié est bien un amour d’amitié, enté directement sur l’inhabitation trinitaire dans le cœur de tout homme, et non un simple affect. Le fil d’Ariane reste bien la sainteté, que résume la célèbre phrase de Léon Bloy « nous n’avons qu’une seule tristesse, celle de n’être pas des saints », puisqu’elle concerne tous les hommes :

     « Le religieux et le politique, tout en restant distincts, doivent être vitalement unis. Ce n’est pas par des alliances d’apparat et de police extérieure, comme au temps du trône et de l’autel, c’est en nous, là où est le royaume de Dieu, c’est dans notre cœur et dans notre vie privée qu’ils doivent d’abord et avant tout se joindre. C’est là que notre vie religieuse et spirituelle doit envelopper, diriger et vivifier du fond de l’âme nos préoccupations temporelles et politiques, c’est le feu même de la religion et de l’esprit qui doit rayonner en activité politique. »30

2 L’autonomie du temporel, fin intermédiaire ou infravalente

     J. Maritain souligne le gain de la modernité, à partir de la notion de « vérités cachées », y compris dans les errances de l’histoire. C’est ainsi que l’autonomie du temporel par rapport au spirituel est lue comme l’accès à la « majorité » du temporel. Ce dernier ne peut donc être lié au spirituel qu’à titre de cause principale seconde31, « infraposé au spirituel à titre d’agent principal moins élevé ; le bien commun terrestre serait pris comme fin intermédiaire ou infravalente. », ce qui permet de définir par la plénitude du statut du temporel la « cité laïque vitalement chrétienne » :

     « C’est quand le profane et le temporel ont pleinement leur rôle et leur dignité de fin et d’agent principal, – mais non pas de fin dernière ni d’agent principal le plus élevé. »

     La conséquence est double : d’une part en ce qui concerne la nouveauté de cette conception, d’autre part eu égard à la compréhension de l’État laïque.

     Il s’agit en effet d’une « subordination réelle et effective, – voilà qui fait contraste avec les conceptions modernes gallicanes ou libérales ; mais d’une subordination qui n’a plus en aucun cas la forme de la simple ministérialité, – et voilà qui fait contraste avec la conception médiévale. »

     La notion de cité laïque vitalement chrétienne peut dès lors être dégagée en fonction de l’aspiration naturelle de l’homme au dépassement de lui-même, c’est-à-dire à la garantie par l’État d’une orientation du bien de la cité non uniquement matériel :

     « C’est là le seul sens que le chrétien puisse reconnaître au mot « État laïque », qui autrement n’a qu’un sens tautologique – la laïcité de l’État signifiant alors qu’il n’est pas l’Église, – ou un sens erroné, – la laïcité de l’État signifiant alors qu’il est ou bien neutre ou bien antireligieux, c’est-à-dire au service de fins purement matérielles ou d’une contre-religion. »32

3 La liberté des personnes

     Cette autonomie adéquatement prise du temporel par rapport au spirituel place la vie morale et spirituelle au centre et au sommet des valeurs qui hiérarchisent l’agir des hommes de la cité. La conséquence c’est le déplacement de la loi, au profit de la collaboration, pour la réalisation et le respect de la liberté, « selon le mode de l’influence morale. »33

     Pourquoi ? Parce que « Il faut que le Christ soit connu : c’est la mission propre de l’Église, non de l’État. Une cité temporelle chrétienne sait qu’elle doit aider l’Église dans le libre accomplissement de cette mission. »34]

     Dans le nouvel humanisme de l’idéal historique, la cité aide l’Église à accomplir sa mission propre, permettant ainsi la jonction du temporel et du spirituel par le choix du « mode des activités les plus propres à la cité éternelle, c’est-à-dire des activités spirituelles et morales ». J. Maritain envisagera dans le chapitre suivant les conditions de réalisations prochaines et lointaines de cet idéal historique, mais dans ces chapitres IV et V, le propos étant de fonder la science de la liberté, il dégage de manière organique la cité de ce nouvel humanisme au plan spéculativement pratique.

4 Autorité et égalité fondamentale

     La parité d’essence entre le dirigeant et le dirigé, fait du régime dominicain, société de frères où l’un d’eux est choisi comme chef par les autres, le régime de référence de cette démocratie personnaliste, différente du régime sacral dont le modèle bénédictin reste la référence. Ce point est le plus facile à saisir à partir du respect de la liberté et de la dignité de la personne. Il a pour corrélat la dernière caractéristique, celle « d’une œuvre humaine, à la mesure de l’homme, à réaliser sur terre par l’effusion et le passage d’une action divine dans les cœurs et dans les moyens humains eux-mêmes.35 ».

5 L’œuvre commune : une communauté fraternelle à réaliser

     Si croyants et non croyants, ont une « œuvre pratique commune » à accomplir, c’est en vertu de la juste considération de la personne humaine subordonnée à l’œuvre commune et surordonnée à celle-ci. Il semble bien que l’unité de ces cinq notes vienne de la contemplation du mystère de l’Incarnation, fondement non seulement de la liberté de chaque personne, mais de la possibilité de sa science selon une morale adéquatement prise, c’est-à-dire subalternée à la science la plus haute, la théologie :

     « L’œuvre profane chrétienne engage toute la dogmatique et toute l’éthique chrétienne. C’est seulement dans le mystère de l’Incarnation rédemptrice que le chrétien aperçoit ce qu’est la dignité de la personne humaine, et ce qu’elle coûte. »36

 

III. La philosophie pratique jusqu’en ses confins, analogie, primat de l’existence et subalternation

 

     En somme, la science de la liberté est science par la surélévation que la philosophie pratique reçoit de sa subalternation à la théologie. Elle est donc science en un sens inverse de celui de la philosophie de l’histoire qui mérite d’être rappelé ici afin de lever une confusion qu’il pourrait y avoir dans la constitution de la science pratique.

1.L’analogie de proportionnalité, origine de la vraie science

     La liberté n’est pas un objet formel de science au sens positiviste. Elle implique une autre conception de la science, dans la ligne de l’héritage aristotélicien repris par saint Thomas selon laquelle il n’y a de science que de l’universel, c’est pourquoi la métaphysique est la science des sciences puisqu’elle s’attache aux universaux et à l’être en tant qu’être. J. Maritain prend à son compte cet héritage qu’il rappelle notamment en s’interrogeant, en 1959, sur la possibilité d’une philosophie de l’histoire :

     « Comment une philosophie de l’histoire serait-elle possible, puisque l’histoire n’est pas une science ? L’histoire ne porte que sur le singulier et le concret, sur le contingent. »37 Pour défendre une philosophie de l’histoire par le fait que « c’est assez pour la philosophie d’être elle-même une connaissance ‘scientifique’ », il s’appuie sur le principe d’analogie, qui permet de comprendre par science « à la fois la philosophie et la science des phénomènes »38.

     Il nous semble que c’est sur un fondement opposé que peut se définir la science de la liberté. S’il y a en effet un emploi de l’analogie, c’est à partir de l’analogie de proportionnalité telle qu’elle est définie dans Les degrés du savoir, qu’est possible la science de la liberté. L’analogie qui permet une philosophie de l’histoire opère plutôt comme un processus extérieur, alors que l’analogie utilisée pour la science de la liberté serait « consubstantielle » parce que tirée de la raison d’être de « ce que les choses, [en l’occurrence les personnes], sont dans leur essence même »39.

     L’analogie de proportionnalité telle que la conçoit J. Maritain articule l’un et le multiple dans sa constitution même.

     Des trois analogies – analogie d’attribution, analogie métaphorique, analogie de proportionnalité propre –, seule l’analogie de proportionnalité permet la prise en compte de la diversité. Dans l’analogie d’attribution40, comme dans l’analogie métaphorique, on a « affaire à un concept univoque de soi », alors que dans l’analogie de proportionnalité propre, on a affaire à un concept analogue de soi « qui désigne dans chacun des sujets dont on le dit quelque chose qui est notifié par la similitude des relations qu’ont respectivement l’un de ces sujets au terme désigné en lui par ce concept, et l’autre, au terme semblablement désigné par le même concept. »41. L’analogie de proportionnalité propre fait atteindre, « selon le signifié propre du concept, la chose analogiquement connue. Le signifié du concept, qui n’est un que d’une unité de proportionnalité, se trouve alors intrinsèquement et formellement en chacun des analogués. »42

     J. Maritain souligne la différence entre l’analogie de proportionnalité et les deux autres, en particulier l’analogie d’attribution dans le rapport au premier analogué :

     « C’est en atteignant dianoétiquement, par cet analogué inférieur, l’analogue lui-même que nous connaissons ananoétiquement les analogués supérieurs. Ainsi seulement peut-on comprendre que les stigmates des perfections créées grâce auxquelles nous concevons l’Être incréé, s’ils affectent nécessairement notre mode de concevoir, n’affectent cependant que lui, et nullement le signifié lui-même de notre concept. »43

     C’est dans ce contexte, à partir de la connaissance de l’analogué supérieur qu’est Dieu, que J. Maritain met en place l’unité et la multiplicité dans l’analogie de proportionnalité :

     « L’objet analogue ‘être’, ‘existence’ pensé par moi [dans « c’est un être », ou « il existe »44] déborde cet analogué. […] tout ce qui divise ces êtres les uns des autres est ce même être que je retrouve en chacun d’eux, – varié. »

     Le concept d’être est corrélatif d’un développement sur l’analogie qui nous semble régir toute la pensée de la philosophie pratique de J. Maritain, parce qu’elle permet de sauvegarder le multiple et la transcendance de l’un, à partir de la différence du plan ontologique et gnoséologique. Nous en rappelons les lignes principales :

      « Le concept d’être est implicitement et actuellement multiple, – en tant qu’il ne fait qu’incomplètement abstraction de ses analogués, et qu’à la différence des concepts universels il enveloppe une diversité qui peut être essentielle, et comporter des hiatus infinis, des distinctions abyssales, dans la manière dont il se réalise dans les choses ; et il est un sous un certain rapport, en tant qu’il fait incomplètement abstraction de ses analogués, et qu’il se dégage d’eux sans parvenir à être concevable à part d’eux, comme attiré sans y atteindre vers une unité pure et simple que seule pourrait présenter à l’esprit, s’il pouvait la voir en elle-même – et sans concept, – une réalité qui serait à la fois elle-même et toutes choses. »45

     On retrouvera, exprimée cette fois-ci avec le terme d’analogie qui sature le texte, cette même affirmation dans Sept leçons sur l’être :

     « L’être en tant qu’être, l’être objet propre du métaphysicien, n’est saisi dans une intuition pure et authentique que lorsque sa polyvalence ou son analogie, sa valeur essentiellement analogue est saisie en même temps. […] et ce caractère analogique (qui se rapporte à ce qu’on appelle l’analogie de proportionnalité propre), est inscrit dans la nature même du concept d’être ; ce n’est pas un concept univoque qui serait par la suite employé d’une manière analogue, polyvalent, il n’est un lui-même que d’une simple unité de proportionnalité ; purement et simplement multiple et un sous un certain rapport. »46

     L’analogie de proportionnalité est constitutivement ordonnée à l’un, qui dérive pour ainsi dire, du multiple :

     « ‘Suruniversel’ ou ‘polyvalent’, un objet de concept transcendantal n’est unum in multis que comme une variable enveloppant une multiplicité actuelle, et réalisée en plusieurs sans poser par là même entre eux une communauté d’essence. Il n’est pas analogue à la façon d’un objet de concept primitivement univoque qu’une métaphore fait convenir après coup, mais d’une manière extrinsèque et en propre à tous les sujets auxquels il est attribuable, parce qu’il est analogue primitivement et par son essence ; dès le premier instant où il est saisi par l’esprit dans un sujet, il porte en lui la possibilité d’être réalisé selon son signifié propre (formaliter, disent les scolastiques) dans des sujets qui par leur essence diffèrent totalement et absolument de celui-là. »

     L’analogie est le moyen de penser métaphysiquement. Si elle est élaborée à partir de l’intuition de l’être et du principe d’identité, elle devient le ressort de la métaphysique, et par voie d’extension, la condition de la science philosophique. Au plan pratique, la science de la liberté est science si elle s’origine dans l’analogie de proportionnalité comme l’expriment ces lignes qu’on pourrait penser extraites d’Humanisme intégral, tant elles en caractérisent l’enjeu :

     « Loin de ramener toute chose à l’identique, il [l’axiome d’identité] est dans notre esprit, parce qu’il maintient l’identité de chacune, le gardien et le protecteur de l’universelle multiplicité. Et s’il oblige l’intelligence à affirmer l’Un transcendant, c’est que cette multiplicité l’exige elle-même pour sauver son existence. »47

     Sans tomber dans l’incessant débat de la véritable filiation de J. Maritain à saint Thomas ou non, l’héritage du maître que revendique J. Maritain dans Humanisme intégral mérite qu’on s’y arrête puisqu’il y est question de l’analogie.

2 L’attitude spirituelle de Thomas d’Aquin et la philosophie de la culture : l’analogie

     Elle est rappelée dans le dernier chapitre de la cinquième partie d’Humanisme intégral et met en avant « son intuition centrale de l’analogie comme instrument véritablement vital et universel de recherche et de vérité » qui rend possible, une philosophie de la culture, à l’inverse « des conceptions univocistes »48.

     L’inspiration thomiste vient de la nécessité d’une « refonte totale » pour arriver à « une primauté vitale de la qualité sur la quantité ». Insistant sur la fécondité de l’analogie, J. Maritain, considère le sacrum imperium, comme un être de raison, eu égard aux temps modernes, mais rien n’empêche « les esprits attachés à une conception sacrale chrétienne d’admettre l’hypothèse d’un éventuel cycle de culture où elle prévaudrait de nouveau, dans des conditions et avec des caractères imprévisibles. »49.

     J. Maritain applique ici l’analogie à une compréhension de l’histoire qui vient après l’élaboration de la science de la liberté. C’est parce que l’analogie permet de penser le multiple, c’est-à-dire le respect de la liberté – sainte – de chaque personne prise dans son unicité radicale, que, au plan de l’évolution des âges, l’analogie devient un principe d’intelligibilité historique.

     « La solution vraie ressortit à la philosophie de l’analogie. Les principes ne varient pas, ni les suprêmes règles pratiques de la vie humaine : mais ils s’appliquent selon des manières essentiellement diverses, qui ne répondent à un même concept que selon une similitude de proportions. Et cela suppose qu’on n’a pas seulement une notion empirique et comme aveugle, mais une notion vraiment rationnelle et philosophique des diverses phases de l’histoire. Car une simple constatation empirique de circonstances et de faits ne pourrait donner lieu qu’à un certain opportunisme dans l’application des principes, ce qui nous met à l’extrême opposé de la sagesse. Ce n’est pas ainsi qu’un climat historique ou un ciel historique se détermine. C’est à condition de porter des jugements rationnels de valeur, et de discerner la forme et la signification des constellations intelligibles qui dominent les diverses phases de l’histoire humaine. »50

     L’analogie de proportionnalité est la seule qui sorte de l’univocité. Son emploi dans Humanisme intégral est tel qu’il cautionne la possibilité d’une philosophie de la culture, d’une philosophie de l’histoire, ici en acte, et une science de la liberté. L’analogie de proportionnalité est seule capable de penser le multiple unifié et de justifier une philosophie de l’histoire, ce qui permettrait de comprendre l’affirmation « il faut que l’historien soit aussi poète »51.

3.Le primat de l’existence

     La place que tient l’analogie dans Humanisme intégral autant au plan de l’intelligibilité de l’histoire que de la constitution de la science de la liberté, nous semble inséparable du primat de l’existence, et de ce fait, de la personne, qui caractérise cette œuvre majeure.

     Si Humanisme intégral s’est éclairé à partir de la somme des différents sens de « intégral » qui permettent de rendre compte du mystère de la personne humaine, c’est aussi par un approfondissement de l’affirmation thomiste du primat de l’existence. Dès lors, la science de la liberté, devient la philosophie de la personne ou même celle de l’existentialisme dont Maritain fera de saint Thomas le représentant le plus avisé :

     « Ici apparaît un aspect du thomisme dont l’importance est première à mes yeux. Par là même que la métaphysique de saint Thomas est centrée, non sur les essences, mais sur l’existence, sur le mystérieux jaillissement de l’acte d’exister, en lequel s’actualisent et se forment, selon la variété analogique des degrés de l’être, toutes les qualités et les natures qui réfractent et multiplient dans ses participations créées l’unité transcendantale de l’Être même subsistant, dès le principe cette métaphysique saisit l’être comme surabondant. Partout l’être surabonde, il profuse en don et en fruit, – et c’est ici-bas l’action où, sous l’influx divin qui les parcourt, ils sont à chaque instant, dans ce monde de l’existence contingente et des imprévisibles futurs contingents, meilleurs ou pires qu’eux-mêmes et que leur simple fait d’exister, échangent leurs secrets, s’améliorent ou se détériorent les uns les autres, aident ou trahissent entre eux la fécondité de l’être, emportés quoi qu’ils fassent dans le torrent, auquel rien ne peut se soustraire du gouvernement divin. »52

     Ce primat de l’existence permet l’affirmation de la seigneurie transcendante du dessein divin, et de ce fait, une transcendance de la nature blessée et de ce qu’elle entraîne, douleur et souffrance. Ce qui semble primer, c’est l’avènement du soi de la personne :

     « Finalement la redécouverte de la valeur de l’existence ne signifie pas seulement la redécouverte de Dieu. Elle signifie aussi la redécouverte de l’Amour. Quand l’intuition de l’Être et de l’Existence se produit en moi, elle entraîne normalement avec elle une autre intuition, l’intuition de ma propre existence ou du Moi, l’intuition de la Subjectivité en tant que subjectivité. Or la Subjectivité en tant que telle n’est pas un objet présenté à la pensée, mais plutôt la source elle-même de la pensée, l’existence comme se donnant. »53

     Il nous semble que ce primat de l’existence affirmé dans Humanisme intégral et ici éclairé rétrospectivement, engage la subalternation de la philosophie pratique à la théologie.

     Dans Science et sagesse (1934), J. Maritain avait déjà associé le lien de subalternation à ce nouvel état de la philosophie en régime chrétien. Non seulement la théologie devient science subalternante de la philosophie morale, mais la foi du philosophe est requise.

     J. Maritain commence par établir la communauté de fin entre la théologie, chargée, elle aussi, de conduire l’homme à la vie éternelle – même si c’est d’abord l’affaire des vertus infuses et des dons du saint Esprit – et la « philosophie morale adéquatement prise » parce que son objet concerne aussi l’usage de notre liberté.

     J. Maritain explique à propos de la philosophie morale adéquatement prise, que « ce n’est pas sur la nature humaine abstraitement considérée, c’est sur la nature blessée, dont il reçoit du théologien la notion scientifique, que, comme le théologien, le philosophe croyant porte son regard ; mais il s’intéresse à la nature blessée pour elle-même, ce que ne fait pas le théologien. » Dès lors, les principes de la raison pratique qui sont les fins naturelles de l’existence humaine (les fins ayant rôle de principes dans l’ordre pratique), pourront être complétées par les vérités reçues de la théologie et par la connaissance des fins surnaturelles »54.

      Si une science de la liberté est possible, c’est parce que le primat de l’existence et de la personne humaine nécessite cette subalternation qui surélève la science subalternée : la philosophie morale devient alors une science humaine surélevée, « en telle sorte que sa lumière est supérieure à celle de la philosophie pure et inférieure à celle de la théologie »55.

 

Conclusion

     Les travaux contemporains du père Montagnes56, pour ce qui est de l’évolution de saint Thomas à propos de l’analogie de rapport ou de proportion, et ceux, tout récents, du jésuite Christoph Théobald57 qui souligne l’actualité de l’extension de l’analogie pour penser dans notre monde marqué par la diversité, ne s’appuient pas sur l’œuvre de J. Maritain, mentionné seulement en passant : lui est préféré Étienne Gilson, qui, en vertu de sa qualité d’historien de la philosophie sera même proposé comme vis-à-vis de Heidegger dans les conférences de Pierre Aubenque à l’Institut catholique de Paris. Il nous semble que cette mise à l’écart de J. Maritain vient d’une prédominance de l’histoire conçue comme science positiviste. Nous avons esquissé ce que l’analogie apporte à la conception de la science, et particulièrement comment elle permet une philosophie de l’histoire. Dans la pensée organique de J. Maritain, la philosophie morale comme la science sont inséparables de la sagesse : c’est le cœur de la pensée d’Humanisme intégral.

     L’idéal historique d’une chrétienté profane qui y est proposé, lève le paradoxe de l’humanisme : les périodes humanistes sont des périodes de décadence parce que l’homme a oublié l’adage d’Aristote, « l’homme est appelé à mieux qu’une vie purement humaine ». Il faut donc définir l’humanisme non seulement par rapport à une transcendance religieuse, mais aussi, pour sauver l’apport de culture et de civilisation de ces périodes humanistes, par rapport à une « transcendance dans le temporel », accompagnée de l’ascèse proportionnée à l’œuvre commune à réaliser au plan temporel : il s’agit de l’héroïsme.

     La conséquence de cette aspiration à l’au-delà de l’humain, de cet appel à « l’infini », est énoncée en 1951 dans Neuf leçons sur la philosophie morale où J. Maritain propose un approfondissement du mystère de la Création et de l’Incarnation pour situer chrétiens et non-chrétiens non pas dans une opposition duelle, qu’on pourrait qualifier de « nature », mais dans une différence de degré quant à la modalité de cette « infinitisation » :

     « En réalité, entre le monde chrétien et le monde non-chrétien, c’est surtout par la profondeur et l’intensité, comme par les modalités plus ou moins pures, les formes de réalisation, les points d’aboutissement, que diffèrent les signes de l’existence dans l’homme d’aspirations à une condition divine et bienheureuse. Si la nature humaine a été irrémédiablement et d’une façon finale infinitisée par la grâce chrétienne, elle a été d’abord infinitisée, irrémédiablement, et d’une façon inchoative, par la grâce en laquelle le premier homme a été créé. »58

     Mais cette vision organique repose sur le primat de la vie contemplative, selon les dons du saint Esprit, qui viennent éclairer le pré-conscient spirituel du philosophe. J. Maritain lui-même souligne la difficile compréhension de son texte, la très lente réception que demandera Humanisme intégral ainsi qu’un long délai pour la possible mise en œuvre de l’idéal historique proposé. Il en voit les raisons profondes dans les fondements philosophiques qu’il résume ainsi :

     « Toute une métaphysique idéaliste et nominaliste est sous-jacente à son comportement [de l’homme petit bourgeois]. De là, dans le monde créé par lui, le primat du signe : de l’opinion dans la vie politique, de l’argent dans la vie économique. »59

     La sagesse pratique a pourtant de quoi susciter l’attention du philosophe contemporain appelé à penser à nouveaux frais la relation entre théologie et philosophie, dont la science de la liberté selon J. Maritain pourrait être un élément structurant, et, ce faisant entre sainteté et humanisme :

     « Tous sont appelés à la perfection, qui est pareille à celle même du Père qui est dans les cieux ; tous, d’une façon prochaine ou d’une façon éloignée, sont appelés à la contemplation des saints, non pas à la contemplation des philosophes, mais à la contemplation amoureuse et crucifiée. Tous sans exception.

     N’oublions pas que cette contemplation, don de Dieu, parce qu’elle ne s’arrête pas dans l’intellect, parce qu’elle est le fruit de l’amour et de la connaturalité d’amour avec Dieu, demande à sureffluer en activité et à pénétrer dans la sphère de l’action, en vertu de l’abondance et de la générosité de l’amour, qui consiste à se donner soi-même. Elle est une sagesse pratique qui marche vers ceux qui sont au dehors, en rachetant le temps. »60

 

Claire Bressolette

 

1 Jacques Maritain, Humanisme intégral, OC VI, p. 294.

2 J. Maritain, « Du savoir moral », OC VI, pp. 923-949.

3 Ibid., p. 942.

4 Fondane Maritain, Correspondance, Paris Méditerranée, Cachet volant, 1997, pp. 26-30, « La philosophie vivante : l’humanisme intégral de Jacques Maritain », Le Rouge et le Noir, Bruxelles, n° 28, 24-27 juillet 1935.

5 J. Maritain, De la liberté dans une chrétienté moderne, OC V, p. 1045. Entretien tenu au siège de l’« Union pour la Vérité » le 21 avril 1934, dans le cadre de l’enquête entreprise depuis 1933, « sur la crise de la liberté dans le monde d’aujourd’hui » (note 1 p. 1042).

6 J. Maritain, « Du savoir moral », OC VI, p. 943.

7 Dans le quatrième chapitre de Théonas (1921), Philonous interroge Théonas à propos du livre de Paul Cazin, L’Humaniste à la guerre, laissé sur la table de la cellule : « L’humanisme n’est-il pas païen de nature ? » Théonas esquisse alors ce que serait un humanisme chrétien, « réussite humaine en même temps que divine », qui se dégagerait de l’amour du créé et dont le livre de Cazin est « le témoin entièrement sincère de ce mouvement fugace, de ce passage, de ce détour divin, par lequel l’âme, incertaine encore s’en va vers Celui qu’elle cherche, et qu’elle ne chercherait pas si elle ne l’avait trouvé. », Jacques Maritain, OC II, p. 808.

8 J. Maritain, [Pour un réalisme intégral et un humanisme chrétien], OC V, pp.973-978, « Je ne crois pas qu’un respect universel du réel, même le plus simple, puisse être assuré dans une culture sinon sur la base d’une métaphysique reconnaissant la pleine valeur de l’intelligence et du savoir rationnel, ni qu’une restauration de la connaissance ontologique puisse elle-même être stable si la sagesse théologique et la sagesse mystique ne sont aussi rétablies dans leurs droits. Enfin le réalisme de la connaissance restera, de fait, bien fragile en nous, s’il n’est uni au réalisme de l’amour et de la volonté. La foi sans la charité, si forte qu’elle soit, n’atteint Dieu qu’à distance, et laisse l’âme tragiquement séparée d’elle-même et de tout. L’amour s’égare sans l’intelligence, mais c’est lui qui la fait pénétrer dans les derniers secrets de l’individuel et de l’existant. », p. 974.

9 J. Maritain, Pour la justice, XXVII Le rôle de l’Amérique, 26 février 1943, OC VIII, p. 819.

10 Ibid. p. 824.

11 Ibid, XXX, Christianisme et démocratie, La substance d’une allocution pour le Jefferson Day, 13 avril 1943, p. 857.

12 Jacques Maritain, OC VI, p. 809, entretien de Buenos Aires du 11 au 16 septembre 1936, organisé par l’Institut de Coopération Intellectuelle. 

13 Ibid., OC VI, p. 810.

14 Jacques Maritain, Humanisme intégral, OC VI, p. 298.

15 « Il semblerait si normal pour l’homme, s’il était un être simplement naturel, de se contenter des choses humaines, d’être satisfait avec les choses adaptées à sa nature, sans se tourmenter tout le temps pour l’impossible. Au contraire, nous voyons qu’en fait il y a chez nous une espèce de passion de passer au-delà de notre nature. Soit par des voies d’authentique héroïsme, soit par des chemins aberrants […] partout vous voyez l’aspiration à une condition surhumaine, tout cela porte le témoignage de l’existence d’un désir pour un bonheur absolu qui nous ferait comme des dieux. Je ne prétends pas qu’il y ait là des preuves démonstratives du fait que nous sommes ordonnés à une fin surnaturelle, mais ce sont des indices puissants ayant valeur de signes. », Jacques Maritain, Neuf leçons sur les notions premières de la philosophie morale, 1951, OC IX, p. 850, et p. 851 « Dès lors que la grâce (grâce d’Adam ou grâce du Christ) et la foi sont données à l’espèce humaine, nous voilà infinitisés, même si par la suite nous perdons la grâce, et même si nous perdons la foi. Même dans une humanité qui a vécu dans l’état d’innocence et qui a perdu la grâce adamique, même dans une humanité qui a été chrétienne et d’où la foi s’en va, et avec la foi les désires proprement surnaturels, eh bien, dans les deux cas, les désirs transnaturels restent stimulés, aiguisés. »

16 Jacques Maritain, Humanisme intégral, Avant-propos, OC VI, p. 294.

17 Ibid., OC VI, p. 811.

18 Ibid, OC VI, p. 812, éclairé par la p. 811, « le nouvel humanisme sera fondé sur une réhabilitation de la créature intégralement prise, c’est-à-dire ouverte au monde du divin, ce qui revient à dire qu’une des tâches qui s’imposent dès lors, c’est une sanctification de la vie profane et temporelle. Découverte donc d’un sens plus profond et plus plénier de la dignité de la personne humaine ».

19 René Mougel, présentation de « L’homme à l’approche de Dieu », Cahiers Jacques Maritain, n°34, p. 28.

20 Humanisme intégral, OC VI, ch. VI, p. 558.

21 Ibid, ch. VI, p. 558, note 11, cf. Rm 11, 32 et Ga 3, 22.

22 Ibid, ch. IV, II, p. 443.

23 Ibid, OC VI, p. 446.

24 Ibid, OC VI, p. 378.

25 J. Maritain, « De la liberté dans une chrétienté moderne », OC V, p. 1044, donne déjà cette liste des cinq notes.

26 Humanisme intégral, OC VI, p. 476.

27 Ibid., p. 486.

28 Ibid., p. 475.

29 J. Maritain, « De la liberté dans une chrétienté moderne », OC V, p. 1044.

30 J. Maritain, Pour le Bien Commun, OC, vol. V, p. 1039.

31 Humanisme intégral, Ibid., p. 491, « L’ordre profane ou temporel s’est, au cours des temps modernes, constitué à l’égard de l’ordre spirituel ou sacré dans une relation d’autonomie telle qu’elle exclut de fait l’instrumentalité. En d’autres termes, il est parvenu à sa majorité. ».

32 Ibid., p. 491.

33 Ibid., p. 494.

34 Ibid., p. 493.

35 De la liberté dans une chrétienté moderne, OC V, p. 1046.

36 Humanisme intégral, Ibid., p. 523, et « Mais par là même qu’elle est profane et non sacrale, cette œuvre commune n’exige point de chacun comme entrée de jeu la profession de tout le christianisme. Au contraire, elle-même comporte dans ses traits caractéristiques un pluralisme qui rend possible le convivium de chrétiens et de non-chrétiens dans la cité temporelle. »

37 J. Maritain, Pour une philosophie de l’histoire, OC X, p. 615, « L’histoire ne peut pas nous donner une explication par des raisons d’être universelles. Sans doute, il n’y a pas de faits « bruts » ; un fait historique présuppose et implique autant de jugements critiques et discriminants, et autant de refontes analytiques que tout autre « fait » ; au surplus, l’histoire ne vise pas à une impossible « coïncidence » avec le passé : elle requiert un choix et un triage, elle interprète le passé et le transpose en langage humain, elle re-constitue les suites d’événements résultant les uns des autres, et elle ne peut s’acquitter de sa tâche sans avoir grandement recours à l’abstraction. Mais l’histoire se sert de tout cela afin de relier le singulier au singulier ; son objet comme tel est l’individuel ou le singulier. L’explication que donne l’historien en tant qu’historien est une explication de l’individuel par l’individuel – par les circonstances, les motivations, les événements individuels. L’élucidation historique, étant individuelel, participe à l’infinité potentielle de la matière ; elle n’est jamais finie ; elle n’a jamais la certitude de la science. »

38 Ibid., note 2, p. 615.

39 Ibid., p. 615.

40 Jacques Maritain, Les Degrés du savoir, OC IV, p. 1010, à propos de « sain » dit de l’organisme vivant et, par analogie du climat, « on voit que l’analogie d’attribution ne fait pas atteindre selon le signifié propre du concept la chose analogiquement connue. Elle ne la fait atteindre ainsi que lorsqu’elle est jointe à une analogie de proportionnalité propre, où [selon Jean de Saint-Thomas], il y a formellement analogie de proportionnalité propre, et il n’y a plus que virtuellement analogie d’attribution. »

41 Ibid., p. 1011.

42 Ibid., p. 1012.

43 Ibid., note 4, p. 1013.

44 Ibid., note 12, p. 646, « nous réservons […] le mot analogue à ce que les scolastiques appelaient analogum analogans, et nous désignons simplement par le mot analogué ce qu’ils appelaient analogum analogatum. » et « Il suffit que je porte sur lui mon attention, je vois qu’il est à la fois un et multiple : il serait purement et simplement un si ses différenciations n’étaient pas encore lui-même, autrement dit si l’analogue présenté à l’esprit faisait complètement abstraction des analogués ; si je pouvais penser l’être sans que soient rendues présentes à mon esprit du même coup des manières essentiellement différentes les unes des autres dont cet objet de concept peut se réaliser hors de l’esprit. Il serait purement et simplement multiple s’il ne transcendait pas ses différenciations, autrement dit si l’analogue présenté à l’esprit ne faisait aucunement abstraction des analogués : auquel cas le mot « être » serait purement équivoque et ma pensée se pulvériserait ; je ne pourrais plus penser : Pierre est homme et cette couleur est verte, mais seulement ah, ah. »

45 Ibid., note 12, p. 647.

46 J. Maritain, Sept leçons sur l’être, OC V, p. 593.

47 Les degrés du savoir, OC IV, note 12, pp. 650-651, et « « Les premiers principes sont vus intellectuellement : tout autrement que par une constatation empirique ; je ne vois pas une chose sujet où une chose prédicat serait contenue comme dans un coffre ; je vois que la constitution intelligible de l’un de ces objets de pensée ne peut pas subsister si l’autre n’est pas posé comme l’impliquant ou comme impliqué par lui ; ce n’est pas là simple constatation comme d’un fait connu par les sens ; c’est intellection d’une nécessité.

Les premiers principes sont analogues comme l’être lui-même. – Tout être contingent a une cause, mais l’objet de pensée « cause » est polyvalent comme l’objet de pensée « être » ; comme il y a des manières essentiellement et absolument différentes d’être, il y a des manières essentiellement et absolument différentes de causer ; entendre le mot cause des seules causes mécaniques par exemple, soit pour soumettre toutes choses au déterminisme universel, soit pour récuser au contraire la valeur du principe de causalité, est méconnaître cette analogie, et s’ôter la possibilité de penser métaphysiquement. En vertu du caractère essentiellement et d’emblée analogue de l’objet universel sur lequel il porte, l’axiome d’identité est en même temps l’axiome des irréductibles diversités de l’être ; si chaque être est ce qu’il est, il n’est pas ce que sont les autres. C’est ce que ne voient pas les philosophes qui, à la suite de Parménide, demandent à ce principe de tout ramener à l’un absolu ».

48 Humanisme intégral, OC VI, p. 525, et p. 124, l’exemple « analogue » de saint Thomas qui « a lutté contre l’instinct d’inertie accumulative d’une scolastique attardée et contre un instinct de dissociation dépensive représenté par Averroès. »

49 Ibid., p. 526.

50 Ibid., p. 449, et « Une philosophie de l’équivocité pensera qu’avec le temps les conditions historiques deviennent tellement différentes qu’elles relèvent de principes suprêmes eux-mêmes hétérogènes : comme si la vérité, le droit, les règles suprêmes de l’agir humain étaient muables. Une philosophie de l’univocité portera à croire que ces règles et ces principes suprêmes s’appliquent toujours de la même façon, et qu’en particulier la manière dont les principes chrétiens se proportionnent aux conditions de chaque époque et se réalisent dans le temps ne doit pas varier non plus. »

51 J. Maritain, Pour une philosophie de l’histoire, p. 754.

52 Court traité de l’existence et de l’existant, OC IX, p.49.

53 « L’homme à l’approche de Dieu », Cahiers Jacques Maritain, n°34, p. 50, Annexe 1.

54 Jacques Maritain, Science et sagesse, OC VI, p. 193.

55 Ibid., et « toute science subalternée à une autre a de ce fait une lumière surélevée, qui reste toutefois, inférieure et diminuée par rapport à celle de la science subalternante. […] une connaissance philosophique des mœurs ne peut être subalternée à la théologie que si la raison du philosophe est éclairée et fortifiée par la foi » pp. 193-194.

56 Bernard Montagnes, La doctrine de l’analogie de l’être d’après Saint Thomas d’Aquin, Les Éditions du Cerf, Paris, 2008.

57 Christoph Theobald, « Selon l’Esprit de sainteté » Genèse d’une théologie systématique, Cogitatio fidei, 296, Les Éditions du Cerf, Paris, 2015.

58 Jacques Maritain, Neuf leçons sur les notions premières de la philosophie morale, 1951, OC IX, p. 850, et p. 851 « Dès lors que la grâce (grâce d’Adam ou grâce du Christ) et la foi sont données à l’espèce humaine, nous voilà infinitisés, même si par la suite nous perdons la grâce, et même si nous perdons la foi. Même dans une humanité qui a vécu dans l’état d’innocence et qui a perdu la grâce adamique, même dans une humanité qui a été chrétienne et d’où la foi s’en va, et avec la foi les désires proprement surnaturels, eh bien, dans les deux cas, les désirs transnaturels restent stimulés, aiguisés. »

59 J. Maritain, Humanisme intégral, ibid., p. 382.

60 « L’homme à l’approche de Dieu », Cahiers Jacques Maritain, n°34, p. 51, Annexe 2.

 

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